Jusqu’à la mort

Jusqu’à la mort

Mon avion est sur le point d'atterrir. Bien que mon coeur soit resté en Roumanie auprès de ma soeur et ma mère, je suis extrêmement heureuse et reconnaissante d’être ici.

 

À peine ai-je passé la porte de débarquement que j’avise la pancarte que tient Gaspard, mon futur époux. Nous nous sommes rencontrés via une agence matrimoniale. Il n’est pas très riche mais notre amour est assez fort pour que je décide de venir vivre ici. Les longues nuits à discuter sur les plateformes, les nombreux appels vidéos et sms échangés m’ont séduite.

 

Notre première rencontre se passe comme je l’imaginais, il est charmant et sa petite maison dans le village d’Arcy-sur-Aube est très accueillante. Rapidement vient le jour de notre union, ses amis sont tous présents et une belle réception a été organisée. Nous sommes une dizaine, seulement deux femmes présentes mais elles semblent effacées. Les festivités battent leur plein et alors que je suis dans une petite salle pour respirer quelques minutes, mon mari arrive. D’abord, il s’approche de moi, ses yeux sont brillants et son haleine m’indique qu’il n’en est pas à son premier verre. Puis, lorsqu’il pose ses mains sur mes hanches, je sens ses doigts me serrer un peu trop fort.

 

Sa respiration nauséabonde à quelques centimètres de mon nez, il me souffle :

 

— Tu vas te dépêcher de rejoindre les autres si tu ne veux pas que je t’en mette une.

 

Je reste stoïque et troublée devant ses mots, mais je m'exécute et rejoins les convives. Les heures défilent, je suis assise à table et laisse mes oreilles se promener.

 

— Elle va vite déchanter quand elle rentrera chez lui.

 

— Oui je suis d'accord, elle aurait mieux fait de rester dans son pays.

 

J'ignore ces médisances à mon sujet et finis par rejoindre mon époux. Je dépose un baiser sur sa joue et reçoit une gifle en retour.

 

— Reste à ta place ! Et ne me fait plus jamais honte.

 

Ses amis, tous gras et célibataires rient à gorge déployée en lançant toutes sortes de méchancetés à mon égard. C’est en attendant l’heure de rentrer enfin chez nous que je comprends que peut-être, j’en attendais trop. Que finalement tout ne sera pas aussi beau que ce que je l'espérais.

 

La première semaine m'annonce la couleur. Il crie énormément, me fait récurer sa maison crasseuse pendant qu’il boit avec ses amis. Le soir de notre mariage, il m'a violenté à peine le pas de la porte passé. Il m'a violée plusieurs fois dans la soirée et a recommencé le lendemain matin. Depuis, il ne m'a pas retouchée et ne me montre aucun signe d’affection.

 

Bientôt un mois que je suis ici et il refuse que je communique avec ma famille. Il m'empêche de sortir, les seuls humains que je suis autorisée à voir ce sont les hommes répugnants qui viennent chaque jour. Je dois les servir et supporter leur pelotage toute la journée. Certains jours, ils jettent leurs cadavres de bière à mes pieds et ordonnent de lecher ce qui coule sur le sol. Mon époux m’a déjà réveillée en pleine nuit pour que je fasse un bœuf bourguignon. J’ai refusé expliquant que je dormais avant de me faire soulever du lit par les cheveux. J’ai passé le reste de ma nuit aux fourneaux, alternant entre les gamelles et les coups. Progressivement, ma vie devient un enfer. Il y a encore quelque semaines, j’etais une belle femme, j’avais des formes et un sourire collé sur mon visage. Maintenant je ne suis plus rien. Mon corps est moche, ma peau est pâle et mes yeux cernés par le manque de sommeil. Mes jambes et mes bras sont couverts d'hématomes et de brûlures de cigarette. Mon œil gauche est violet et si gonflé, que je ne peux plus l’ouvrir. Alors que j’avais légèrement trop fait cuire les pâtes, il m'a tabassée et une fois mise à terre, il m'a piétiné le visage. J’ai passé plus de douze heures allongée dans mon propre sang, ma pisse et ma merde à esperer mourir. Le matin, lorsqu’il s'est levé, il a ouvert une porte jusqu'à présent verrouillée et m'a jetée à l'intérieur. J’ai dévalé les vieilles marches en bois. Ma jambe a fait un craquement horrible et je me suis mise à hurler. Depuis, je suis cloitrée dans cette cave sans fenêtre qui pue l’humidité. Mon pied tordu dans un angle à quatre-vingt dix degrés me fait atrocement souffrir. Alors que je suis allongée sur le vieux matelas mouillé, il entre accompagné de deux hommes.

 

— La voilà, faites ce que vous voulez tant qu’elle respire encore.

 

Je reste muette, les larmes dévalent mes joues pendant qu’il referme la porte derrière lui.

 

— Il l'a bien amochée ! Regarde sa gueule putain, elle a même des croûtes !

 

— Retournée, on ne verra rien.

 

L’un des deux m’attrape par les cheveux et me place à quatres pattes. Il baisse ma culotte sale et enlève sa ceinture. Sans avertissement, il s’enfonce. La douleur se répand et je crie. Un coup de poing m’arrive directement dans les dents et m’en casse une, que je crache. Ils continuent à tour de rôle de me prendre. Du sang coule de mes orifices et lubrifie le passage. Enfin, ils se répandent sur mon visage et sortent sans un mot.

 

Je n’ai aucune notion du temps, recroquevillée sur moi-même, toujours souillée de leur foutre. Il me colle à la peau et l’odeur me donne envie de vomir. Une éternité après leur départ, mon mari revient. Il tient dans ses mains un plateau avec une soupe et un croûton de pain.

 

— Grâce à toi, j’ai eu un petit paquet de pognon. Je pense qu’on recommencera d’ici peu. Une fois que tu seras nourrie, tu iras nettoyer en haut. Je te préviens, je ne suis pas loin. Ne tente rien d’idiot.

 

Il sort en laissant la porte ouverte, j' émiette le pain dans l’eau marron supposée être la soupe et avale rapidement le tout, avant de monter difficilement à l’étage. Il m’attend, debout au milieu de la cuisine, son visage est crispé et ses poings serrés. Je tremble et n’ose pas avancer. Il finit par serrer ses doigts autour de ma gorge et me pousse jusqu’au salon.

L’odeur est infecte, le sol jonché de débris et de restes de nourriture. Je comprends rapidement que depuis qu’il m'a enfermée, il n’a rien fait. Quand je commence, il fait nuit noire dehors et lorsque je finis, le soleil est déjà levé depuis un long moment. Alors que je m’abaisse pour ramasser les saletés, ma tête se met à tourner et je m’effondre sur le sol. Je suis réveillée par un sceau d’eau glacée. Je sursaute et le vois. Il écrase ma main avec sa grosse chaussure et me crache dessus.

 

— Bonne à rien ! Retourne dans ton trou !

 

Lorsqu’il me jette dans la cave, ma tête s’éclate tellement fort sur le béton que je sombre dans le noir.

 

Les semaines suivantes sont toutes les mêmes. Il me loue à des hommes, tous des « amis » en manque de compagnie, dit-il. Un soir, j’ai tenté de me rebeller. J’ai attrapé mon plateau et l’ai frappé avec, en vain. Je n’ai été ni assez forte, ni assez rapide. Je lui ai craché toutes sortes d'insultes et lui ai dit que je finirai par être retrouvée. C’est là que j’ai perdu tout espoir.

 

— Mais pauvre merde, tu penses vraiment pouvoir t'échapper ?

Il s'est mis à rire très fort avant de reprendre.

 

— Personne ne sait que tu es là, hormis mes frères et ne crois pas, ils sont aussi mauvais que moi. Ta famille n'as aucune idée de l'endroit où tu te trouves et personne ne t'entendra crier. Tu es seule et à moi.

 

Depuis, j’obéis et prie chaque jour pour mourir rapidement. J’aimerais m'échapper, mais je n’ai pas encore trouvé comment. Il ne quitte que très rarement la maison et quand il le fait, il m’enferme à clé. Ses amis sont tous aussi pourris que lui et ne m'aideront jamais. Quant au voisinage, il n’y en a pas à moins de dix kilomètres.

 

Je finis de faire un nœud à mon drap et m’y prend à plusieurs fois pour le passer par-dessus la poutre. Une fois installée, je vide mon pot de chambre plein dans un coin de la pièce, ignore l’odeur d'excréments et le place sous la potence de fortune. Je monte dessus, inspire et place ma gorge au milieu du cercle. Je pousse et me retrouve suspendue, mon cœur tremble et l'air me manque. Avant de me retrouver dans le noir, je vois le visage de ma petite soeur restée en Roumanie puis celui de ma mère, pour finir sur celui de mon époux. La peur aura pris le pas sur ma force mentale, j’abandonne et rends les armes. Il est bien plus fort que moi et je ne peux plus supporter ça.

 

J’ouvre les yeux et tombe aussitôt sur les rayons du soleil. Je tourne la tête et m'aperçois que je suis dans sa chambre à lui. Je reprends mes esprits et cogite. Cet enculé m'a décrochée et m'a réanimée. Alors que les images de ma pendaison tournent en boucle dans ma tête et que je pleure d’avoir échoué, il entre dans la chambre.

 

— Tu as cru t’en tirer si facilement ? Tu es à moi et tant que je ne l’aurai pas décidé, tu resteras à mes côtés, t’as compris ?

 

Il sort et revient quelques instants plus tard avec une immense chaîne dans les mains. Il l’attache à ma cheville déjà cassée et l’autre partie au radiateur en fonte. Je suis morte de l'intérieur, vide et sans émotions. J’attends que le temps passe et que la mort arrive. Mes journées se résument à nettoyer et rester enfermée ici, il me viole plusieurs fois par jour, tout en passant ses nerfs sur moi. J’ai les genoux à vif à force d'être à quatre pattes et mes mains sont rongées par les produits d'entretien. N’ayant le droit qu'à une douche par semaine et dans son eau sale, ma peau commence à être rongée et des cratères purulents se forment dessus.

 

Aujourd’hui, d'après ce qu’il m'a dit, ça fait un an jour pour jour que j’ai posé les pieds sur le sol français. Ma plus grosse erreur va être fêtée comme il se doit, m'a t-il soufflé dans l'oreille pendant qu’il me baisait sans vergogne, il y a de ça plusieurs semaines.

 

Il est parti de la maison il y a plus d’une heure et n’est toujours pas revenu. Malgré son ordre de ne pas quitter la chambre, je m’approche de la porte et pose mon oreille dessus. Étant donné que nous attendons la visite de quelques amis à lui, il m’a détachée. Première erreur de sa part, j'enclenche la poignée et passe ma tête dans l’ouverture. Personne. J’avance à pas de loup en retenant ma respiration. Je descends les escaliers qui grincent sous mon poids. Je suis prête à jurer que l’on peut entendre mon cœur tellement il bat vite. Alors que je passe devant la porte d’entrée, quelqu'un se met à toquer. Je me pétrifie et place une main sur ma bouche. Je suis terrorisée.

 

J'hésite, puis finis par attraper la clanche dans ma main, je m’apprête à ouvrir lorsque j’entends sa voix de l’autre côté.

— Monsieur le gendarme, en quoi puis-je vous aider ?

 

— Bonsoir, je m’excuse de vous déranger à une heure aussi tardive, nous avons eu affaire à des promeneurs qui disent avoir entendu des cris venant d’ici.

 

Sans perdre une seconde, j’ouvre à la dérobée et me jette sur l’agent.

 

— Aidez-moi, s’il vous plaît !

 

L’homme me rattrape et me remet droite, avant de se tourner vers mon mari.

 

— Monsieur, pouvez-vous m’expliquer  ?

 

— Il s’agit de ma femme, elle est gravement malade, elle est atteinte de schizophrénie et d’autres troubles. Je peux vous montrer les nombreux papiers médicaux.

 

Des larmes remplissent mes yeux quand l’agent me pousse dans ses bras et lui souhaite bon courage. Je sens sa main serrer mes côtes, avant qu’il ne me rentre dans la maison.

 

À peine la voiture partie, il m'envoie son poing dans l’estomac et me fait vomir. Il me traîne dans les escaliers, ma mâchoire frappe chaque marche. Je sens mes os se briser et les hématomes se former. Il abat sa rage sur moi, me frappant dans le dos, le ventre, me crachant dessus et éteignant chaque cigarette sur mon visage. Je finirai par passer la soirée couchée, nue, au fond de la baignoire inconsciente, pour me réveiller le matin couverte de sperme et l’entrejambe en sang. Mais heureusement, il n'a pas trouvé le petit couteau que j’ai réussi à dérober au policier lorsque je me suis jetée sur lui.

 

Voilà presque deux semaines que cet agent est passé, deux semaines que je note dans un coin de ma tête chacun de ses gestes. Je prends mon mal en patience et subis les sévices qu’il m’inflige. Il va être l’heure pour lui d'aller au bar et il va donc me laisser seule pendant une heure. J’entends la voiture démarrer et les cailloux crisser sous les pneus. J’enfonce une paire de chaussettes entre mes dents et abat d’un grand coup, le pied de la lampe sur ma cheville déjà bien amochée. Elle cède et j’arrive douloureusement à retirer la chaîne. Je me mets debout difficilement, la douleur m'empêche de poser le pied. J’avance et sors de la chambre. En passant devant le miroir du couloir, je prends quelques secondes pour contempler les dégâts. Des dizaines de cicatrices et de brûlures couvrent mon visage, ma peau est blanche, je fais peur à voir. Je suis maigre comme un clou, je n’ai que la peau sur les os.

 

J’inspire un grand coup quand j’arrive à l'extérieur, je titube jusqu'au garage, quelques mètres plus loin. Je suis vite arrêtée par une douleur dans la jambe, il me faut un instant pour regarder derrière moi, le voir lui et comprendre qu’il m'a tiré dans le tibia. Je m’affale au sol et hurle à pleins poumons. Il s’approche et se penche au-dessus de moi. Il pose son canon sur mon front et m'ordonne de me relever. Je reste sans bouger jusqu'à ce qu’il me tire dans la main. Il tire sur mes cheveux tellement fort qu’ils restent dans sa main. Il me met des coups de pieds et enfin je me relève. Il me traîne dans la maison et me jette tout un tas d'objets que je tente d'éviter. Je suis au sol, en position foetale, ma bouche et mon nez saignent. Mes yeux sont si gonflés qu’il m’est impossible de voir, même si je tente. J’attrape tant bien que mal le petit couteau caché dans ma culotte et le lui plante dans la joue. Surpris, il me libère, je ne perds pas une seconde et lui saute dessus. La rage m’emporte et je lui enfonce l’acier à plusieurs reprises dans le corps. Seuls des gargouillis sortent de sa bouche, puis enfin, le silence.

 

Je reste un très long moment couverte de sang à côté de sa dépouille mais finis par partir. Je suis en piteux état, mais libre. J’avance en boitant dans la nuit, le froid me mord et j'espère trouver de l’aide sur la route. Alors que les forces commencent à me manquer, des phares de voiture se font voir au loin. Je lève les bras, l’espoir m'envahit et je me mets à crier à l’aide. La voiture ralentit et s'arrête à mon niveau. À ce moment-là, je revis, je me dit que je suis sauvée et que je vais pouvoir retrouver ma famille. Le chauffeur, que je ne vois pas avec la pénombre, m’invite à prendre place. Je contourne le véhicule, ouvre la portière et m’assois. Je ferme les yeux et inspire un coup.

 

— Merci beaucoup, je…

 

Le silence dans l'habitacle est pesant, je tourne la tête et l’homme me fixe avec un immense sourire. Un rictus qui me glace le sang, et ses yeux… Je les reconnais, il a les mêmes que lui.

 

— Je l’avais prévenu, il n'a pas écouté. Mon frère est un imbécile.

 

Il pose sa main sur ma cuisse et se lèche les lèvres avant d’ajouter.

 

— Maintenant, tu es à moi et je sens que l’on va bien s’amuser tous les deux…

 

 

Fin

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